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Le voile utile

Publié: 2 novembre 2013 dans Thèmes
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Le voile est d’abord un outil de travail utilisé partout à travers le monde depuis la fin des temps. Les femmes, en particulier, qui ont généralement une chevelure abondante, en font grand usage. On ne s’étonne pas qu’au théâtre, on coiffe la sagace Sagouine d’un voile qui affirme son statut de besogneuse avant d’être une coquette.

J’imagine mal aussi qu’on puisse marcher dans le désert sans ce fichu si efficace et si simple. Les Bédouins n’avancent-ils pas contre le vent, laissant à peine apparaître leurs yeux, la tête, le cou et le corps complètement recouverts?

Le voile sert aussi à donner de l’éclat à l’ensemble de l’habillement. Il donne de la hauteur, de la couleur, des motifs et de l’élégance. La vie sans le voile serait plus terne!

Avec le temps, par ailleurs, le voile a aussi servi à manifester la discrétion de son apparence et à éviter le regard séducteur. On entre alors, dans un tout autre monde. Outil de travail et de protection physique, il est devenu un outil de protection clanique. La femme ne devait pas être désirée par un autre membre de la famille, du clan ou de la tribu afin de protéger la lignée et l’identité du groupe. Il faut savoir que l’identité du groupe garantit les bases de la solidarité dans la survie. La survie n’est pas possible sans la solidarité et la solidarité tient à l’identité du groupe.

D’autre part, certains groupes sont devenus avec le temps très ombrageux quand il s’agit d’exposer les femmes à la présence d’étrangers. Les femmes, passages obligés pour la reproduction de l’espèce, devenaient des forteresses à protéger solidement. Il ne faut pas s’étonner que le mot barbare (barbaros en grec) qui voulait seulement dire étranger est devenu signe de méchanceté, de danger, d’agression, d’un manque d’éducation et de classe et pour être plus précis d’un manque de caste…

Pascal Quignard raconte dans « Le sexe et l’effroi » que « tout est permis aux femmes pour peu qu’elles ne soient pas encore mères ou qu’elles ne le deviennent jamais. […] La “castitas”, c’est l’intégrité de la “caste” qui résulte de celles qui portent l’embryon. »[1]  La chasteté tout à coup prend une tout autre couleur : « castitas » devient le droit de la caste à protéger sa lignée, sa semence…

On sous-estime souvent ce que représente la protection de la lignée aujourd’hui. Ce fut très important et ce l’est encore pour les familles royales. Dans ce monde, on ne couche pas avec n’importe qui… Mais aussi, dans plusieurs cultures, on est très exigeant sur qui se marie avec qui. Il y a plusieurs protocoles qui doivent être respectés à la lettre. Les mariages « arrangés » font partie de ces protocoles. Le voile vient rappeler cette exigence clanique. Il n’est pas d’abord un signe religieux. Cependant, comme l’interdiction de manger du porc qui était avant tout une prescription hygiénique – on craignait les toxines du porc parce qu’il se nourrissait de tout, souvent d’ailleurs des déchets de l’homme… – est devenue un interdit religieux, le voile s’ajouta lui aussi peu à peu dans ces règles et croyances. Dans l’histoire humaine, il arrive souvent qu’on investit de l’aura du sacré des pratiques ordinaires qu’on veut rendre impératives. Par les craintes qu’il suscite, le religieux est un excellent vecteur d’autorité, qui d’ailleurs, on le sait, ira trop souvent jusqu’à l’oppression.

Derrière le voile, se cachent donc, bien au-delà de son utilité, des enjeux de sociétés dont on ne soupçonne pas l’ampleur. J’aurais aimé entendre dans le débat actuel des anthropologues prendre la parole et nous instruire sur tous ces sujets. Il est encore temps de le faire. Mes courtes observations font appel à ces savants pour qu’ils nous éclairent sur la complexité de ce dont nous débattons, trop souvent en toute ignorance.

 

 


[1] Pascal Quignard. Le sexe et l’effroi. Gallimard, 1994. Coll. Folio no 2839, page 27.

Le voile du débat

Publié: 2 novembre 2013 dans Thèmes
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Certains aiment répéter (Trudeau, Harper, Charest, Couillard, entre autres) que les Québécois n’aiment pas la chicane. Comme si les Québécois n’étaient pas capables de conflits, de controverses et de crises. Ce n’est qu’une autre façon subtile et méprisante de rabaisser les Québécois. D’abord, y a-t-il dans le monde des nations, des peuples qui aiment la chicane? Le Québec ne fait pas exception. Personne n’aime de prime abord les conflits. Ce serait si merveilleux qu’il n’y en ait jamais! Le paradis, quoi! Or cette réflexion facile et irraisonnée sert les intérêts de ceux qui ne veulent surtout pas d’un Québec critique et contestataire qui chicane ceux qui gouvernent ou qui veulent prendre le pouvoir. D’autre part, c’est nier la réalité, que de concevoir un collectif si petit ou si grand soit-il où il n’y a pas de conflits. Les conflits mènent aux crises et la fonction des crises, c’est de nettoyer le paysage de ce qui sourd de façon sournoise dans le collectif et de trouver de nouvelles manières de résoudre ces impasses inéluctables.

C’est tout à l’honneur des Québécois que de se permettre ce difficile débat sur la place des religions dans l’état. Inévitablement, certains dérapent dans leurs comportements et leurs propos, mais il serait injuste d’identifier ces manières à tous ceux qui prennent position dans un sens ou dans l’autre. Le débat actuel est très important pour les Québécois, et cela pour quatre raisons principales :

  1. Pour réfléchir enfin sur leurs craintes du religieux qu’ils ont massivement délaissé;
  2. Pour examiner comment le religieux est compatible avec l’idée qu’ils se font de la justice, de la solidarité, de l’ouverture et de la sérénité;
  3. Pour approfondir les caractéristiques essentielles de leur identité;
  4. Pour cerner ensemble ce qu’ils veulent faire pour garantir, développer et protéger cette identité.

Le débat serait moins âpre si les structures politiques du Québec étaient mieux définies et garanties par un statut où ils sont seuls maîtres de leur destin. Malheureusement, le fédéralisme canadien actuel en fait une passoire où n’importe quels intérêts économiques, financiers, politiques ou géopolitiques peuvent saboter sa sécurité culturelle. La controverse actuelle voile des enjeux beaucoup plus grands que le voile!

Injuste retour des choses, on fera grief aux Québécois de redouter le religieux, fut-il catholique, islamiste ou fondamentaliste, mais on questionne peu l’intransigeance et l’hypocrisie des religions qui se croient détenteur de la vraie vérité. Par cette croyance en leurs affaires, ils se donnent le droit d’imposer leurs manières de faire et de penser où qu’ils soient dans le monde.

Les catholiques sont particulièrement contents de ce débat qu’ils n’osaient pas eux-mêmes soulever tellement ils se savent peu crédibles. Eux qui ont pourchassé pendant plus d’un millénaire le musulman impie. Les voilà qu’ils redécouvrent tout à coup une solidarité monothéiste… Les Juifs qui s’entendaient bien avec les Arabes quand ceux-ci étaient polythéistes, après une brève alliance avec Mohammed, devinrent aussi d’incontournables frères ennemis. On ne voit pas encore comment Israël et les Palestiniens vont régler leur « chicane »! Derrière le voile sacré du temple, bien des sombres présages demeurent cachés.

Quant à l’Islam, spécifiquement, car il semble que c’est surtout de lui qu’il est ouvertement question, il nous faut reconnaître qu’il est polymorphe. Il y a d’imposantes nuances entre l’Islam fleuri d’une jolie femme instruite, coquette, « voilée », articulée et l’Islam sombre archaïque, « patriarchaliste », rigide, dogmatique, agressif et combattant ou djihadiste. C’est ce dernier que les Québécois et encore plus les Québécoises craignent avec raison, elles qui ont connu l’oppression théocratique des curés catholiques, « imans » fondamentalistes d’une époque pas si lointaine.

Je roulais à bicyclette entre Morrisburg et Cornwall. Je m’étais arrêté au Parc Mille-Roches. Quatre hommes jouaient au ballon sur la pelouse, à l’ombre. Plus bas, sur la plage au soleil, quatre femmes, habillées de longues robes brunes et couvertes d’un voile noir, préparaient la collation de l’après-midi et s’occupaient d’une douzaine d’enfants animés qui jouaient dans le sable et dans l’eau. Ces femmes entraient dans l’eau jusqu’à la poitrine toujours vêtue de leurs longues robes et de leurs voiles pour être avec les enfants. Je n’étais pas certain de bien voir. Je pris le temps de bien mastiquer mes noix et de boire l’eau de ma gourde. Aujourd’hui encore, j’en demeure saisi. Il y a quelques semaines, j’ai vu un reportage à la télévision où encore on assistait à une scène exactement semblable. Mes yeux ne s’étaient pas trompés. C’est ainsi que les voyages forment la vieillesse!

Si la réaction au port du voile est si tranchée, les musulmans devraient s’interroger eux-mêmes sur ce qu’ils portent comme message. Il est trop facile d’accuser les Québécois de xénophobie quand on leur présente une telle réalité, sans compter sur les conflits assassins entre les sunnites et les chiites, sans prendre acte que leur religion est instrumentalisée à des fins guerrières et politiques.

La laïcité est par définition ouverte, mais elle énonce par son existence même des limites que les religions ne peuvent franchir. Il faut préciser des règles qui gèrent raisonnablement les détails, mais il demeure que l’égalité entre les hommes et les femmes est une valeur supérieure à la liberté religieuse qu’on gonfle artificiellement de droits inaliénables qui n’en sont pas.

Je suis convaincu que le Québec sortira grandi de cette crise parce que nous nous serons parlé les yeux dans les yeux, sans masque pour ne pas dire sans voile.

Les chrétiens s’enorgueillissent souvent d’avoir implanté en Occident les valeurs comme la liberté, l’individualité, l’amour. Oh! Là! C’est ne pas connaître les philosophes grecques qui ont précédé le christianisme de 500 ans et qui articulaient déjà avec beaucoup de vigueur les concepts de liberté, de responsabilité individuelle et de démocratie. C’est ignorer l’importance radicale que Bouddha donnait à la compassion, lui aussi, 500 ans plus tôt. Le plus beau titre de gloire de l’Église chrétienne est d’avoir porté des valeurs que l’humanité explorait depuis longtemps. Le christianisme par ailleurs a souvent trahi ces valeurs radicales par son dogmatisme, son autoritarisme, son despotisme, sa violence inquisitionnelle. Le christianisme est un mouvement ambigu. D’un côté, on y retrouve des êtres courageux, visionnaires, engagés et généreux qui font partie de la gloire de l’humanité, mais d’un autre côté, on y rencontre aussi le pire… au nom de Dieu! Fort heureusement, les grandes valeurs humaines ont traversé tous les âges et ont aussi traversé le christianisme. Celui-ci n’a pas à s’arroger ce que l’humanité porte en elle nécessairement, sans le christianisme. La liberté, la responsabilité, la compassion ne sont pas d’abord des valeurs chrétiennes, mais des valeurs humaines que le christianisme a épousées et qu’il a continué à explorer. Le christianisme n’est qu’un moment dans l’histoire de l’humanité libre, responsable et compatissante. Il n’en est pas le fondateur. En a-t-il été un accélérateur? Sans doute, mais aussi un frein. L’Occident a adopté le christianisme parce qu’il en avait besoin pour promouvoir ces valeurs fondamentales. Ce n’est pas le christianisme qui a baptisé l’Occident, mais l’Occident qui a forgé le christianisme.